BONUS ...



                     
                     Stage de marionnettes avec Bérangère Ventusso  du 7 au 9 mai 2014

Bérangère Vantusso (BV) se propose d’explorer la relation de l’acteur à la marionnette avec
comme finalité de se rapprocher du texte. Elle pose la question du comédien et du
marionnettiste ; est-ce qu’un marionnettiste est un comédien ?

Vendredi 9 mai, salle Théâtre du CRD de Clamart.
L’Histoire de l’Homme qui marche.

Ils sont sept. Lucie, Morgane, Bérangère, Aline, Charlène, Anaïs et Baptiste.
Et BV. Et Luc. Et moi.
Habillés de noir, discrétion jusqu’au bout des pieds.
Un chœur.
La lumière de la salle est faible, sans grâce, celle des services. La salle est « balourde ». On ne sait où se mettre. Encombrée de vêtements, de cubes, de chaises, de rideaux qui ferment mal, d’accessoires audio, d’un castelet.
BV installe un escabeau, des tréteaux affublés d’une planche noire, un bâton de bois blanc qui repose sur le bord de la table et se fixe à une autre planche noire. Celle-ci est plus petite, pas régulière, mal équilibrée et descend vers le sol.
Un petit carton ouvert.
Un torchon qui traîne (d’où vient-il ?)
Luc fait plusieurs aller-retour dans la réserve, et revient avec le matériel enchanté.
Chacun installe ce décor, ce trajet, cette trajectoire, cette ligne de vie.
BV choisit une marionnette, celle avec la tache noire sur la joue. « Un second nez ?» dit-elle.
Une marionnette Bunraku que Luc a construite, façonnée, certainement rêvée, polie, lissée. Elle est élégante, intrigante, « racée », neutre, de belles couleurs pâles la colorent. Sa tête a une très belle forme ovale, son corps est long, svelte, expressif, simple. En bois, en papier.
On la manipule avec de petites poignées cachées derrière sa tête, derrière ses bras, son buste, on lui tient les pieds. Ses articulations sont faite comme une horloge, divines. Tout fonctionne comme si c’était facile d’être une marionnette.
Elle est belle.
Et le groupe de décider que c’est un homme, je décide que c’est l’Homme.

BV, chef de chœur, administre, indique comment l’homme doit bouger. Son regard, ses bras, ses pas, ses impulsions, ses élans, ses récupérations au sol, ses genoux, son buste, son équilibre. Enfin ses émotions, suite de virevoltes entre le contentement, la peur, l’hésitation, la joie, la panique. Si bien que, suite à plusieurs ébauches de manipulations, on voit l’homme respirer, vivre dans chacun de ses gestes, à la fois comme un semblant de squelette et un personnage naissant.
Animée d’une vie intérieure. Une âme.
Le chœur est concentré, tous identiques, au service de l’exercice.
Je pense à ce moment-là à Antoine Vitez, qui considérait l’Exercice, comme un tout, une des plus belle œuvre, irremplaçable.

BV, chevelure bouclée, comme une femme en pierre, solide, savait sans doute, mais ne s’attendait peut-être pas à cet instant unique. Elle savait, car elle dirige chaque mouvement, elle enveloppe de son savoir ce groupe flottant tout à coup, hors du réel.
Elle cherche sur un cd, une musique adéquate ...
Elle place un baffle devant la construction, le décor, le parcours improvisé.
Elle réunit les forces et les esprits.
La musique s’amorce.

l’Homme qui marche.
Les sept manipulateurs sont divisés en deux groupes.
Anaïs, Lucie, Morgane accompagne l’homme de son point de départ, un cube noir, jusqu’au sommet de l’échelle.
Les quatre autres récupèrent habilement la figurine, et l’emmène vers le bout du parcours. Anaïs rejoindra Charlène, Bérangère, Aline et Baptiste.
Lucie debout, l’attend avec le torchon. Morgane, accroupie, avec le carton.
La musique s’amorce donc.

Je ne vois plus les visages des manipulateurs, n’aperçois que des ombres. Une danse d’ombre, ou chaque geste est le bon. Chorégraphie juste. Rien en trop, rien en plus. BV, agenouillée au devant, palpite avec eux, danse avec eux. Je ne regarde pas Luc, je ne vois que lui, ce petit être qui se jette légèrement sur la première marche de l’échelle. Sa main attrape le tube qui relie les marches, il se tient - comme nous - de peur de tomber. Ses genoux flexibles se tendent. Le voilà stable, satisfait, il semblerait. Il faut maintenant grimper. Marche après marche. Elles sont hautes pour lui, cela demande des efforts, de la volonté, du courage, des muscles. Il prend appui, pied gauche sur la marche supérieure, le bois résonne sur le fer, impulse, ses mains cherchent à s’agripper, regard tendu au dessus de lui, son buste se dresse, toutes ses forces s’assemblent et le pied droit rejoint son jumeaux. Bruit de bois, bruit de fer. Il encaisse, et comme un Jacob, ne tarde pas à poursuivre sa progression. À chaque escale il recommence, refait, revit. À chaque marche, un échelon de gagner, une étape tangible, acquise, l’Homme grandit. Il monte. La scène se reproduit, et encore, et encore, et encore, jusqu’à la dernière marche. Il se colle au fer, se tient droit, se remet dans son axe, il se repose ?
Ses yeux sont rivés sur le plateau au sommet de l’escabeau.
Le groupe est tendu. Il va falloir passer la main pour faire sauter le petit bonhomme, parachutiste en herbe.
La musique joue au creshendo.
Un ultime effort et l’homme se trouve sous l’arche de l’échelle. Pluie de bruit de bois, de bruit de fer. Il s’assied. Reprend son souffle. Et regarde en bas. La planche noire délavée sur les tréteaux. Son objectif. La musique parle.

Le deuxième groupe se faufile sous les pieds de l’échelle, chacun trouve naturellement sa place, on ne perçoit presque pas le passage. Échange de mains, échange de corps. Il faut sauter. Ne pas stagner. Comme un chasseur de vitesse l’homme marionnette se met en boule, se lance dans l’air, atterrie, clac-clac, sur la table et se stabilise. Il est content, il est là sain et sauf, il a su prendre ce risque, il s’est lancé. Il s’est rattrapé. C’est une vie nouvelle qui commence. De joie sans doute, le voilà qui saute, ballerine aérienne, écarquillé dans les airs, jambes et bras ouverts et tendus, libre. Il accompagne avec souplesse sa chute. Se retrouve face à nous, public. Les manipulateurs applaudissent discrètement.
Je crois qu’il est heureux.
La musique crache.

Mais une autre épreuve l’attend. Sous forme de sentier. Sa tête se tourne, il observe l’obstacle, puis prépare son corps. Il appréhende, et fort de sa victoire précédente, pose un pied sur le bâton de bois, fil de funambule. Il faut mettre un pied devant l’autre. Ne pas tomber. Bien placer son buste, écarter les bras.
BV souhaite qu’il nous montre son visage, BV souhaite qu’il regarde le vide. Déséquilibre. Le palpitant en vrille, il essaie de se stabiliser, reprend ses esprits, son petit corps de papier se calme. Il entend la musique ?
Apaisé, il reprend sa route, soucieux d’arriver de l’autre côté. Le bâton de bois repose sur une planchette à fissures. Pas facile de passer de l’équilibriste au marcheur des montagnes escarpées. Il retient son souffle. Il n’est pas le seul. Tout le chœur, et la chef d’orchestre, et peut-être Luc, et moi retenons notre souffle.
Les danseurs se concentrent, les ombres qui le maintiennent se réunissent, prudents. L’homme est de profile. Les genoux et le buste pliés, il tâche de trouver sa place, de ne pas glisser. Rien pour se tenir. Tout se fait sur le va et vient des jambes, l’attention constante, le clac-clac des pieds bien placés. Et il commence sa descente. C’est pentu, très pentu ! La musique glisse.
À mi chemin, la consigne de BV est de se laisser entraîner par la pente. Et notre petit d’homme, attiré par cette descente, galope tranquillement jusqu’en bas. Pas de casse. Sain et sauf. On lui propose un torchon pour s’essuyer les mains, la sueur du visage, les pieds fatigués. Il respire. Sourit, on dirait.

Enfin il pose le pied sur le sol. J’ai rarement vu une attitude si fière. Les mains sur les hanches, il semble savourer son succès. Il a aimé traverser ses bouts de chemin de vie. Il ne voit plus d’obstacle. Captif et Acteur de son destin. La musique s’adoucit. On ne sait pas ce qu’il pense de l’avenir. Et on a pas le temps.

Morgane lui présente un carton au quatre coins ouverts. Il ne comprend pas ce qu’on lui demande. Alors les manipulateurs, le chœur, se mobilise et ne forme plus qu’un amas de déloyaux serviteurs. L’homme est attrapé de toute part, forcé de se soumettre et d’entrer dans le carton. Il résiste, gesticule, son corps se dresse, se cabre. Tout bouge. Il tremble. Il ne comprend pas. Le chœur se meut tel une mer déchainée. « Ne paniquez pas ! » lance VB. Les vagues se font se défont. Le bruit du bois, du papier et du carton. On l’emmène. Ses mains ne se noient pas. On les voit dépasser. Le torchon est jeté sur l’embouchure du carton. Et puis plus rien.

La musique glace. VB demande au chœur de faire une sortie. En marche arrière. Cela paraît solennel.
Le silence.

La salle était belle.

L’Homme qui marche.

C’est ce que j’ai ressenti. Bouleversée.





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